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" Biiig gun Baby ! " ou le culte de la performance

Je pense qu'apprendre un instrument, quel qu'il soit, vient avant tout d'un désir profond de partager l'indescriptible, le subtil, le mystique. Les seuls mots du langage verbal ne suffisant pas toujours pour retranscrire nos expériences de vies, nos rencontres, nos ressentis, nos pensées. La symbiose que nous éprouvons avec l'existence appelle alors, parfois, pour se sublimer, des notes, des mélodies, des rythmes, des textes ayant un sens divin que la musique cristallise.

 

Mais comment s'y prendre ?

Au départ, il y a eu cette chanson, ce concert, cette vidéo, ce moment et surtout ce rythme, ce batteur... il serait tentant de chercher à imiter voire à dépasser nos mentors, de ressembler "à", de parvenir "à". Quoi de plus naturel que d'imiter les comportements et manières de nos exemples ? C'est déjà comme ça que nous nous formons en tant qu'enfant, l'humain identifie ses modèles, ses éducateurs, les imite et cherchera un jour ou l'autre à les dépasser.

 

L'aspirant en quête de devenir, de savoir, se trouvera toute méthode, tout exercice, toute durée de travail, qui sera, à tord ou à raison, dit "utile", de façon méthodique, acharnée, pour les plus téméraires - ou fous - afin de parvenir à l'objectif fraîchement trouvé : celui de revivre ce moment pourtant passé et surtout, surtout... Devenir celui qu'il rêve d'être.

 

 

Cette façon de faire, tout à fait compréhensible, voire logique, mène aux abîmes.

Je veux dire par là que j'ai cru que "parce que d'autres disaient que..." qu'il fallait jouer 5, 6, 7 heures par jour, le plus fort, le plus vite, et le mieux possible pour être accepté par les autres musiciens et acceptable pour mon propre idéal de perfection... Quelle erreur !

Si pratiquer ardemment une matière suffisait à nous rendre ingénieux en celle-ci, où serait le mystère de l'âme humaine, prédisposée à telle ou telle compétence ? Le résultat pour moi : des tendinites très difficiles à guérir ! À l'image de la rigidité dont j'ai fait preuve pour atteindre un but inaccessible et totalement vain puisque je suis moi et pas un autre. Ça n'a fait que me faire croire que je n'étais "pas fait pour ça", j'ai douté de ma capacité à réussir ce que je souhaitais entreprendre, créant frustration, colère allant jusqu'au conflit en moi et dans mon foyer ! Tout ça simplement dû à une erreur de casting de départ : je ne suis pas un tel ou un tel, mes besoins sont les miens... parce que je suis moi !! 

 

Vous auriez dû voir, scènes purement anecdotiques mais rigolotes au bout du compte, avec le recul s'entend, le regard de ma femme lorsque je hurlais "biiiig gun Baby !!!", accompagné d'un geste un brin - ok ok n'ayons pas peur des mots - complètement obscène parce que je venais de passer un cap de BPM (battement par minute) sur un rudiment. Oui oui on a surement tous eu ce sentiment de jouissance et/ou de puissance en atteignant un objectif fixé. Ma femme riait, surement partagée entre "qu'est-ce que je dois dire" et "heureusement que personne ne nous voit" (aussi parce qu'elle est sympa et bon public ! ). Je fais des triple croches frisés à 120 BPM, oui, est-ce que c'est ce qui fait de moi un bon batteur, je ne pense pas, est-ce que cela fait de moi un bon mari, un bon père et un homme globalement sympathique, rien n'est moins sur ! 

 

L'attention, la persévérance et la compréhension sont à juste mesure nécessaires. Un mot me vient à l'esprit à ce propos : "dédication", qui n'existe pas en français, sa traduction donnerait "dévouement", j'entends par là le fait de souhaiter transférer un état d'esprit à notre pratique, en plus du travail d'apprentissage mécanique, en faisant le parallèle avec son quotidien, avec sa vie.

Pour faire plus clair : Comment rechercher une harmonie musicale, une structure rythmique - dont le rôle est quand-même de soutenir un morceau, la base sur laquelle il va s'appuyer - si on est chaotique dans son quotidien ? Comment prétendre à la reconnaissance d'un milieu quand on n'est si peu à l'aise avec soi-même qu'on ne se respecte pas, ni ceux qui nous entourent ? C'est extrême mais aussi une forme de réalité.

 

" Biiiig gun Baby " ou le culte de la performance, une occasion de se poser des questions quant à la dynamique que nous choisissons de nourrir. Ce que je peux vous dire d'expérience, et ce n'est que mon point de vue, c'est que  subtil, mystique et charnel n'ont pas besoin de performances pour être communiqués et que prendre le temps de cibler nos besoins en matière d'apprentissage ne fait pas de nous des divas à talons, bien au contraire ! Cela nous permet de jouir de l'instrument rapidement, sans avoir le temps de souffrir et de s'en dégoutter, en somme... avec joie (!) - ce qui est quand-même le but premier, c'est toujours bon de se le rappeler !